Après Morwenna et la trilogie du Subtil Changement, j’attendais de pied ferme la dernière parution de Jo Walton, et je n’ai pas été déçu. Quel livre !
Résumé
(source éditeur)
Née en 1926, Patricia Cowan finit ses jours dans une maison de retraite. Très âgée, très confuse, elle se souvient de ses deux vies. Dans l’une de ces existences, elle a épousé Mark, avec qui elle avait partagé une liaison épistolaire et platonique, un homme qui n’a pas tardé à montrer son véritable visage. Dans son autre vie, elle a enchaîné les succès professionnels, a rencontré Béatrice et a vécu heureuse avec cette dernière pendant plusieurs décennies. Dans chacune de ces vies, elle a eu des enfants. Elle les aime tous… Mais lesquels sont ses vrais enfants : ceux de l’âge nucléaire ou ceux de l’âge du progrès ? Car Patricia ne se souvient pas seulement de ses vies distinctes, elle se souvient de deux mondes où l’Histoire a bifurqué en même temps que son histoire personnelle.
L’Auteure
(source éditeur)
Née au pays de Galles et très attachée à ce pays dont elle parle la langue, Jo Walton vit depuis 2002 au Canada avec son mari et son fils. Elle est l’auteure d’une dizaine de romans remarqués. Bien que son roman Tooth and Claw, inédit en français, ait reçu le World Fantasy Award en 2004, il lui a fallu attendre la parution de Morwenna pour rencontrer le succès qu’elle méritait.
Mon avis
On le sait, Jo Walton aime s’intéresser de près à ses personnages, et proposer des chroniques intimistes qui s’intègrent aussi parfois dans un background uchronique plus ou moins développé (si vous ne l’avez pas encore, allez vous procurer au plus vite le Guide de l’Uchronie chez ActuSF – fin de la pub copinage !). Dans Mes Vrais Enfants, elle maîtrise parfaitement le sujet, c’est peu de le dire.
Le roman débute par les états d’âme d’une vieille dame, Patricia, qui, depuis sa maison de retraite, essaye de se remémorer son passé. Des souvenirs plutôt confus, puisqu’elle se rappelle deux vies différentes. De quoi la troubler, ainsi que le lecteur, qui hésitera entre fantastique et SF et comprendra vite qu’il lit une uchronie personnelle (mais pas que !). En effet, l’histoire de Patricia a changé radicalement le jour où elle a décidé – ou pas – de se marier en 1949.
Qui ne s’est jamais posé la question de savoir comment se seraient passées les choses s’il avait fait tel ou tel choix ? Etre resté avec telle personne, avoir rompu avec telle autre, avoir choisi telles études, accepté tel travail, refusé autre chose… La liste est longue et les possibilités infinies. Et dans la vie d’un individu, un mariage est un choix important, surtout à l’époque où Walton situe son récit. Alors elle choisit de nous raconter deux vies en parallèle, celle de la Patricia qui choisit d’épouser Mark, et celle de son « reflet » qui refuse. Deux parcours de vie bien différents…
L’épouse se découvre au final un mari froid et indifférent, imbu de lui-même et frustré par sa carrière, qui ne lui fait des enfants (quatre et de nombreuses fausses couches !) que par devoir. Elle mettra des années à se libérer, pouvoir divorcer et à s’émanciper pour trouver satisfaction dans des causes ou associations qui lui tiennent à coeur. L’occasion de décrire le quotidien et le peu de droits des femmes anglaises (mais pas que) des années 30 à 2015, révoltant selon nos critères actuels – qui ne datent pourtant que de quelques petites dizaines d’années.
L’autre Patricia, elle, tombera amoureuse de Béatrice, et grâce à un ami merveilleux et compréhensif, les deux amantes auront trois enfants. Une vie bien plus douce, entre Angleterre et Italie (Ah, les gelati de Florence ! Comment ne pas aimer un récit qui encense l’Italie !) mais sur laquelle plane quand même la menace d’être découvertes et de perdre leurs droits à une époque où les couples de femmes avec enfants ne sont ni courants ni acceptés (pas sûr que ça ait tant changé…).
Parcours sombre ou lumineux, y compris dans le monde parallèle concerné ? Les choses ne sont pas forcément aussi tranchées dans ce roman aux chapitres alternés, avec deux récits bouleversants qui m’ont souvent fait venir les larmes aux yeux (alors que je ne suis pas vraiment un modèle de sensibilité, d’habitude…). On passe parfois un peu vite sur certaines périodes, et on a aussi un peu de mal à suivre le grand nombre d’enfants, d’amis, de famille ou collègues qui traverse cette fresque s’étendant du coup sur 2 périodes d’une soixantaine d’années ! Qui plus est, les deux versions de Patricia changent de surnom ou de diminutif (Pat/Tricia/Patty/Trish) en fonction de leur entourage et des périodes ! Mais le style reste fluide et globalement limpide, les personnages particulièrement attachants et il est bien difficile de lâcher le livre une fois qu’on est lancé dans l’histoire.
Et l’Histoire également, car Walton ne se contente pas d’une uchronie personnelle, mais réussit le tour de force de faire vivre ses deux personnages dans deux mondes parallèles au nôtre. Parmi les faits notables, citons en vrac la crise des missiles de Cuba qui s’est finie par une attaque nucléaire, un premier homme sur la Lune qui fut un cosmonaute russe, des bases lunaires pour la science ou pour la course à l’armement, ou de façon plus anecdotique un Prince Charles n’ayant jamais connu Diana mais fidèle à Camilla… Sans parler des allusions à la musique de l’époque, à la politique, aux sciences, ou aux arts… La richesse est là, sous la subtilité.
Un roman qui mêle avec brio féminisme, militantisme notamment pour les causes homosexuelle, pacifique et écologique, histoire, uchronie, réflexion douce-amère sur la vie et son lent déclin, sur l’amour y compris parental, et est profondément bouleversant. Je ne peux que le recommander fortement. Et je ne trouve qu’un mot qui lui convienne, un mot que je n’utilise quasiment jamais mais qui résume tout le bien que j’en pense : c’est un chef d’oeuvre.
D’autres avis : Albédo – Au Pays des Cave Trolls – Le Bibliocosme (Dionysos) – Le Bibliocosme (Boudicca) – Le Culte d’Apophis – Les Lectures du Maki – Livrement – Lorhkan – Reflets de Mes Lectures – Un Papillon dans la Lune – Le dragon galactique – Nevertwhere – Mondes de poche – Les Lectures du Panda – …
Ma seconde lecture pour le Challenge Lunes d’Encre !
Nous sommes tous d’accord, un livre rare, une vraie claque comme on en aimerait plus souvent !
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Pas trop souvent, pense à nos pauvres petits cœurs !
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Excellente critique !
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Merci, elle est bien pâlichonne face au talent de Jo Walton 😉
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Très bonne critique, on a le même avis et ressenti 🙂
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Waouh!!! Ça c’est de la critique!!!
Pour l’instant je ne me sens pas au diapason de vous tous. J’aime bien, mais j’ai lu tant de chroniques superbes que je crois que mes attentes sont si élevées que seul le firmament pourra les atteindre.
Je n’aurais pas du vous lire à vous tous.
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C’est très subjectif ce genre de ressenti, tu peux laisser passer un peu de temps avant de le lire…
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J’y suis en plein dedans…
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Je suis très très curieuse de découvrir ce livre!!!!En plus je trouve la couverture très jolie….Jolie chronique qui me fait noter ce titre dans ma wish 😉 Merci pour la découverte!!!!;)
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Bonne lecture !
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Tu as tout dit ! 🙂
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Toi aussi 😉 Je rajoute un lien vers ta chronique !
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J’ai juste survolé ta chronique vu qu’il est sur ma table de nuit, mais j’espère l’apprécier autant que toi en tout cas !
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Je te le souhaite fortement !
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Pareil que Vert, j’ai survolé vu qu’il n’est pas sur ma table de nuit mais en wish list !
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Il va falloir que je lise du Jo Walton un jour quand-même ^^
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Je ne sais pas ce que tu attends !
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Je l’ai terminé hier soir et je l’ai bien apprécié. Cette uchronie « personnelle » est très bien réalisé. Elle construit deux vies, avec quelques subtilités dans les préférences de Patricia mais clairement en gardant l’essence même de sa personnalité. Et j’aime beaucoup le dernier chapitre qui fait référence au titre du livre.
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Content de voir que tu as apprécié !
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Une claque, comme pour tout le monde ou presque.
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Oui, beaucoup de critiques positives.
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